14 février 2025
Cette année 2025 nous fêtons deux « anniversaires » majeurs : celui des 20 ans de la Loi Handicap, mais aussi celui des 50 ans de Loi de 1975, présentée par Simone Veil, qui définit les droits fondamentaux des personnes handicapées : droit au travail, droit à une garantie minimum de ressource, droit à l'intégration scolaire et sociale.
Et pour garantir ces droits, la loi 2005 est venue leur donner deux socles : l’accessibilité et la compensation, « deux faces d’une même pièce qui est la garantie d’une société juste, inclusive et équitable » comme le rappelle le Collectif Handicaps.
Cette société, nous travaillons à la faire advenir depuis 2019, avec la démarche Gironde inclusive, fondée sur un objectif partagé : celui de co-construire nos politiques publiques avec les principaux concernés.
Dans la continuité de la loi Handicap 2005, la Gironde inclusive c’est reconnaître la pleine citoyenneté de tout un chacun et se donner comme priorités l’accès aux droits, à l’école, au travail, à la vie du quartier, à la mobilité ainsi qu’aux ambitions et rêves.
C’est ainsi que nous essayons d’agir partout, pour tous : dans le champ des représentations et du quotidien le plus essentiel.
S’il n’y a pas de Gironde inclusive sans la prise en compte de l’aspect médico-social tel que la PCH (prestation pour la compensation du handicap) ou l’AAH (allocation adulte handicapé), nous ne pouvons en rester là.
Ce mardi 11 février au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), le rapporteur du comité des droits des personnes handicapées de l’ONU, Jonas Ruskus l’a dit sans détour :
« Toutes ces atteintes systémiques aux droits relatives à des personnes en situation de handicap découlent du modèle médical et d’une vision paternaliste du handicap, profondément ancrés dans les lois, politiques et mentalités sociales en France. Le comité recommande à la France d’abandonner cette approche validiste »
Est-on prêt à abandonner cette approche validiste ?
Car c’est aussi ce que déplore la Défenseure des droits, Claire Hédon dans un entretien pour Sud Ouest (11/02/2025) cette semaine :
« L’approche reste encore assez médicale, pas suffisamment basée sur les droits. »
J’ajoute que la France ne doit pas oublier qu’elle a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes en situation de handicap en 2006.
Cela nous oblige à dépasser les déclarations de bonnes intentions sans les pourvoir d’un budget !
Nous avons donc un devoir commun à nous indigner et résister.
Nous indigner des exclusions qui restent encore trop nombreuses.
Résister aux tendances à remettre en cause ou supprimer des droits.
Quand le droit commun est entamé, c’est bien le commun, donc la démocratie qui sont menacés.
Je pense notamment à la faiblesse de l’AAH.
Je rejoins les propos de notre député, cher Sébastien, et plaide pour sa revalorisation.
C’est une question de dignité quand on sait « qu’un quart des personnes handicapées reste pauvre » (Déclaration du bureau du CESE : « Les 20 ans de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées»).
Par ailleurs, la complexité des démarches administratives, les délais de traitement des dossiers qu’il nous faut encore améliorer ou la difficile articulation de l’AAH avec d’autres dispositifs d’aide et d’accès à l’emploi peuvent créer des effets de seuil pénalisants.
Alors, il faut se rendre à l’évidence : répondons-nous vraiment à l’exigence de « dignité de la personne humaine » telle qu’énoncée dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme de l’ONU de 1948 ?
« La dignité de la personne humaine, n’est pas seulement un droit fondamental en soi, mais constitue la base même des droits fondamentaux. »
Cette dignité, nous la respecterons et la garantirons totalement à condition lorsque nous cesserons de définir et de représenter le handicap comme une « limitation » en raison « d’altérations substantielles, durables et définitives ».
Les premiers concernés nous l’ont rappelé ce mardi au CESE : ils en ont assez d’être qualifiés de « déficients » !
Les JO nous ont montré que le handicap n’est pas une question de fragilité et de vulnérabilité, et je pense notamment au cécifoot que l’on apprécie particulièrement en Gironde !
En revanche, invisibiliser et stigmatiser les personnes, voilà ce qui fabrique de la fragilité et de la vulnérabilité.
La Loi de 2005, acte aussi la création des MDPH, socles du droit à compensation pour les conséquences du handicap.
La MDPH participe d’un tout inclusif que nous appelons ici Gironde inclusive, dont l’action collective entend garantir l’accessibilité.
Avoir accès, c’est pouvoir utiliser et pouvoir bénéficier de son environnement. Plus la personne en situation de handicap a d’accès plus elle participe, plus elle participe moins elle est marginalisée !
On va au-delà d’un service public physiquement accessible : plus l’accessibilité est forte, plus faible est la compensation.
Je reconnais qu’il existe un double paradoxe girondin, ou pas.
D’une part, si l’on délivre un droit mais qu’aucun service n’est mis en face, faute de budget, il ne pourra pas être effectif !
D’autre part, la MDPH a fortement amélioré la rapidité de délivrance des droits, et c’est heureux, mais n’oublions pas que la Gironde inclusive et d’autres actions des partenaires travaillent à augmenter l’offre accessible, justement pour réduire les besoins de compensation !
Il nous faut donc trouver le juste équilibre entre compensation suffisante et accessibilité à la hauteur d’une citoyenneté égale pour toutes et tous.
C’est une nécessité pour les personnes en situation de handicap mais aussi pour leur famille, leur aidant, leur compagnon qui ont eux aussi besoin de réponses et de reconnaissance pour ne pas s’épuiser.
Pour oser réussir l’inclusivité, osons !
Evaluer autrement : à partir des capacités, des capabilités plutôt que d’exiger une liste « d’invalidités » pour cocher des cases. Or, pour le Collectif Handicaps, cela engendre une approche « par les coûts plutôt que par les droits », une approche réduite à l’aspect médical pour obtenir le droit à la compensation.
Reconsidérer ce que l’on entend et attend de la compensation : trop souvent, on pourrait considérer que la PCH pourrait tout, soit comme un puits sans fond, soit pour éviter d’aborder l’accessibilité et les autres mesures…
Je rejoins une fois encore la Déclaration du CESE : la compensation doit évoluer pour s’adapter et être « réellement centrée sur les besoins et aspirations individuels, et non sur des critères standardisés ou sur les moyens disponibles sur un territoire »
Robert Badinter disait que la France est championne de la proclamation de droits sans budget pour les rendre effectifs. Le bilan de la Loi de 2005 ne lui donne pas tort.
Pourtant, des moyens il en faut : selon les calculs de plusieurs associations, il faudrait engager 12 milliards, simplement pour une égalité de droits !
Que l’on ne nous rétorque pas que c’est impossible en temps de « crise », que les « économies » doivent être le maître mot : il y aura toujours un bon prétexte pour ne pas faire avancer l’inclusivité !
Et au rythme où l’on va, combien de décennies encore, combien d’anniversaires à attendre ?
Portons plutôt le regard de l’autre côté des Pyrénées, observons ce qu’on fait nos voisins latins du Pays Basque Espagnol alors que leur situation économique n’était pas au beau fixe.
Ils ont mis sur la table des constats et des attentes :
Les personnes en situation de handicap sont des citoyennes comme les autres, avec des capabilités et des besoins : aller à l’école, travailler, avoir des loisirs…
Les aidants ont besoin qu’on simplifie l’accès aux droits, à l’école de quartier, à la structure médico-social…
Pour garantir à toutes et tous d’avoir accès au droit commun ils ont créé, entre autres, le centre Gautena à Saint-Sébastien.
Un véritable guichet utile : où toutes les personnes en situation de handicap et les familles, les proches aidants peuvent à un endroit trouver des réponses claires et accessibles en termes de logement, transport, etc.
Ainsi, nulle rupture, de la petite enfance à l’âge adulte, puisque la personne TSA est accompagnée par la même structure.
C’est à partir de là qu’ils ont déterminé un budget de 15 millions d’euros, identifié là où il pouvait être trouvé dans les moyens alloués à la santé et l’ont mis là où c’était nécessaire !
Je ne demande pas de déshabiller la Santé pour habiller le Handicap, mais simplement que l’on mette les moyens là où sont les besoins !
La MDPH de demain doit participer d’un tout plus large, une MDPH forte d’un guichet unique d’accueil et d’information sur tous les sujets de la vie quotidienne, à l’image du Service public girondin de l’autonomie, enrichi de l’accès au logement, à l’école, aux loisirs, etc.
Prenons exemple de nos amis basques du département 64 : créons une communauté d’apprentissage et via la création d’équipes d’expérimentation transfrontalières, identifions ce que l’on peut améliorer pour faire avancer une politique commune d’inclusivité.
Nous pouvons opérer ce changement soit en douceur, soit avec radicalité : car plus nous attendrons, plus nous serons obligés de rattraper notre retard et prendre des décisions rapides. Personne ne souhaite ça.
Certes, les annonces se multiplient : un comité interministériel le 6 mars, pour que la question du handicap irrigue l’action de tous les ministères ; l’annonce de la création de 500 pôles d’appui à la scolarité ; les 50 000 solutions…
Mais va-t-on mettre la question du financement au cœur de notre bilan de donner un avenir concret à cette loi et à ces droits ?
Va-t-on agir ? Comme le dit Michaël, « on ne peut pas juste papoter » !
D’ailleurs, connaissez-vous Michaël ?
Michaël est un des GEMmeurs de Gironde.
Certains de ses camarades sont là aujourd’hui, et je les salue.
C’est par le rêve de Michaël que j’aimerais finir.
Son rêve, c’est celui d’une « France 100% inclusive ».
Il l’a porté au CESE le 11 février, pour tous les Gemmeurs de Gironde et de France, et je l’en remercie.
« Dans cette France 100% inclusive, on ne faisait pas de différence entre les valides et les handicapés car tout était accessible. » nous a-t-il dit.
Ce rêve m’interroge autant qu’il nous oblige :
Qu’est-ce que l’on garde, qu’est-ce que l’on transforme ?
Comme nous l’avons fait, ici, en 2019, pour poser les bases de la Gironde Inclusive, aurons-nous le courage de poser les bases d’une France Inclusive ?
Aurons-nous l’audace de faire du rêve de Michaël, une réalité ?