Les paysages naturels de l’estuaire sont marqués d’amont en aval par l’omniprésence de l’eau. C’est elle, au contact de la terre, qui a façonné des milliers d’hectares de zones humides renfermant une incroyable richesse de milieux et d’espèces. Reconnu à l’échelle européenne et internationale, ce patrimoine est intégré au réseau européen NATURA 2000, et de ce fait, bénéficie de mesures de protection et de gestion spécifiques.
Quelques repères géomorphologiques
L’estuaire de la Gironde, tel que nous le découvrons aujourd’hui, a été façonné à l’ère quaternaire par une succession de régressions et de transgressions marines mettant en place l’actuel trait de côte, ainsi que les alluvions argileuses (les « mattes ») et dépôts tourbeux des zones basses. Celles-ci contrastent avec les terrains tertiaires des coteaux où affleurent des formations calcaires. Mais c’est antérieurement, au tertiaire, que rive droite et rive gauche, à la faveur de la formation de failles, deviennent asymétriques.
Sur le plan topographique, il en résulte des terrains plus élevés sur la rive droite (point culminant supérieur à 50 m), alors que la rive gauche est plus basse et s’étale dans sa partie nord (le Verdon). Ainsi, le relief en rive droite est beaucoup plus marqué du fait du sens général des pendages des couches géologiques. La présence de roches calcaires favorise en outre l’écoulement de nombreuses sources tout le long de la rupture de pente. Ces coteaux sont localement nappés de grèzes, dépôts de pentes lités et rythmés, formés pendant les glaciations du quaternaire.
L’estuaire est bordé, en pied de coteau, de zones de dépôts alluvionnaires d’altitude inférieure à 3 m, tantôt étroites comme au niveau de Blaye, tantôt s’élargissant comme au niveau de Braud-et-Saint-Louis et de Saint-Ciers-sur-Gironde (plus de 4500 m) ou dans le secteur des mattes du Bas Médoc. Les alluvions forment un bourrelet naturel légèrement plus élevé que les terrains situés en pied de coteaux. Dans la zone soumise aux marées (estran), ces alluvions sont reprises et déposées au gré des courants. Elles forment une bande étroite de vasières plus ou moins colmatées, le long de la rive, et les îles. Le bilan apport/évacuation de sédiments joue actuellement en faveur de l’accumulation sédimentaire dans le fleuve.
La fonction de champ d’inondation, un enjeu majeur
Les zones inondables de l’estuaire couvrent une surface totale évaluée à 600 km2. L’estuaire est soumis à des crues de type fluvio-maritime, induites par la confrontation entre la propagation de la marée dans l’estuaire et des débits élevés de la Garonne et de la Dordogne. Elles peuvent être aggravées par des conditions météorologiques océaniques particulières provoquant une surcote au niveau du Verdon. Ces zones inondables, directement superposables aux zones humides qui bordent le fleuve, contribuent fortement à protéger l’agglomération bordelaise des inondations : gérées comme des casiers hydrauliques autonomes, elles assurent une fonction de régulateur des flux estuariens.
Les espaces naturels
Les milieux que l’on rencontre tout au long de l’estuaire sont tous « construits » sur les mêmes fondements géomorphologiques et hydrauliques.On peut ainsi distinguer cinq grands types homogènes,à se répétant tout au long de l’estuaire :
- Le fleuve et les îles : l’île Paté au droit de Blaye, l’île sans Pain ou île nouvelle, liée à l’île Bouchaud, l’île de Patiras…
- les milieux humides soumis aux balancements des marées (milieux intertidaux) entre le fleuve et la digue (l’aubarède),
- les milieux de marais, s’étendant en arrière de la digue jusqu’au pied des coteaux,
- les coteaux et les vallons
- les milieux de transition, interface entre coteaux et zones basses.
1– Le fleuve et les îles : l’île Paté au droit de Blaye, l’île sans Pain ou île nouvelle, liée à l’île Bouchaud, l’île de Patiras
Du fait de sa haute productivité et de sa situation même en entrée-sortie du grand bassin versant Garonne-Dordogne, l’estuaire joue un rôle écologique primordial localement et également pour des territoires plus éloignés en amont et à l’aval. L’écosystème estuarien doit son originalité à de fortes variations des conditions naturelles (marnage, salinité, turbidité, débits fluviaux…) qui structurent ce milieu en une mosaïque d’habitats.
La répartition des peuplements se fait en fonction de ces paramètres et connaît une forte saisonnalité. L’estuaire est à la fois une zone de nourricerie, de reproduction, d’adaptation physiologique aux espèces de poissons migratrices ou encore un couloir de passage. Il représente un patrimoine écologique remarquable dont l’esturgeon reste l’espèce emblématique, mettant ainsi l’accent sur la fragilité de l’écosystème estuarien.
Classés au SDAGE Adour-Garonne en « axe bleu », l’estuaire et les corridors fluviaux Garonne et Dordogne sont inscrits sur la liste des axes de migrations principaux. En complément ont été ajoutés : en rive droite, la Livenne, et en rive gauche la jalle du nord, du sud, le chenal du Guy, le chenal du Lazaret, le chenal du By, le chenal neuf et le chenal du Guâ.
Les îles, issues de dynamiques hydro-sédimentaires complexes, participent de cette mosaïque d’habitats, bien qu’ayant été mises en valeur par l’agriculture et ayant perdu de leur richesse patrimoniale.
2 – L’estran et les milieux humides intertidaux
L’estran (ou wadden) représente la partie du littoral située entre les plus hautes et les plus basses mers connues. Il est couvert lors de la pleine mer et découvert lors de la basse mer est divisé entre slikke et schorre et ripisylve :
- la slikke est la partie basse de l’estran qui n’est découverte que lors des basses mers ; elle est également appelée vasière. Elles est très faiblement représentée au niveau des communes de la rive droite.
- Le schorre est la partie haute de l’estran, qui n’est recouverte que lors des hautes mers. Il se situe en avant des digues. Une végétation bien particulière constituée essentiellement de graminées (gazons amphibie, phragmites, phalaris, joncs…) fixe la vase et peut former les prés salés, comme dans la partie très aval de l’estuaire.
- La formation boisée de frêne, formant une ripisylve plus ou moins continue, colonise la partie la plus haute, contre la digue (cf. photo).
Le rôle trophique de l’estran est essentiel pour les poissons, les oiseaux et il agit comme un filtre vis-à-vis des matières en suspension et des composés chimiques polluants apportés par le fleuve, assurant ainsi une fonction auto-épuratrice des milieux aquatiques. Il s’agit d’importantes zones d’échanges (écotones) entre écosystèmes terrestres et aquatiques.
3 - Les milieux de marais
Ils s’étendent en arrière de la digue jusqu’au pied des coteaux et sont composés d’une mosaïque d’habitats, au caractère humide plus ou moins prononcé. Leur valeur écologique peut être analysée et appréciée en fonction de cet effet « mosaïque » sur la biodiversité et par la connectivité hydraulique.
Une mosaïque de milieux :
L’aménagement des marais a façonné une diversité d’habitats qui permettent d’assurer plusieurs fonctions nécessaires au cycle de vie de nombreux organismes, comme l’alimentation, la reproduction ou encore l’abri et le repos.
La richesse des marais tient à la présence simultanée de ces différents milieux sur un territoire restreint. L’uniformisation de l’occupation du sol (les grandes parcelles de cultures drainées par exemple) entraîne de facto une simplification de ce réseau, et par conséquent de la mosaïque d’habitats et d’espèces, infléchissant également sur la diversité des fonctions biologiques du marais.
la connectivité hydraulique :
Le réseau de canaux et de fossés influence le degré d’hydromorphie des sols. Leur densité et leurs connections, leur entretien, la gestion des niveaux d’eau effectuée grâce aux ouvrages (pelles, clapets, portes à flots…) sont à la base de la constitution de cette mosaïque, qui recouvre les appellations de mattes, marais mouillés,…
La connectivité caractérise à la fois la franchissabilité des différents compartiments hydrauliques du marais, nécessaire notamment à la vie piscicole (passage des zones de reproduction aux zones de grossissement par exemple pour l’anguille), ainsi que la qualité de l’eau (renouvellement/confinement) en relation avec l’estuaire et/ou les bassins versants amont des coteaux (le marais de La Vergne et la Livenne par exemple). Elle est tout particulièrement conditionnée par la gestion de l’ouverture des ouvrages et aussi par leur état qui limite la circulation des poissons et les échanges hydrauliques.
4 - Les coteaux et les vallons
Sur le plan écologique, les coteaux contrastent, avec un intérêt très amoindri par l’omniprésence de la vigne. Celle-ci ne laisse que peu de place à d’autres types d’occupation agricole ou forestière, qui contribueraient à une certaine diversité de milieux. Les modes culturaux pratiqués par la viticulture sont, sur le plan écologique, peu propices à la conservation d’une certaine biodiversité.
- Seule joue la présence des petits boisements, dans la partie du vignoble située au nord du marais de la Vergne. Tout en étant banals en termes d’essences et de cortège floristique, ces boisements constituent des zones refuges et de relais pour la faune.
- Les vallons humides, dans lesquels s’écoulent des petits cours d’eau, constituent également des éléments de diversité assurant un lien physique et biologique avec les marais et l’estuaire (corridors biologiques).
- Enfin, on signalera la particularité des falaises calcaires de Blaye, site qui présente un intérêt à la fois géomorphologique, paysager et botanique, avec la présence d’espèces calcicoles et thermophiles dont certaines sont protégées à l’échelon national et régional.
5 - Les milieux de transition, interface entre coteaux et zones basses.
La zone de contact entre les dépôts alluvionnaires et les affleurements calcaire qui dessinent le coteau est marquée, elle aussi, par la présence de l’eau (sous forme de ruissellement en provenance de ces derniers et d’écoulement de sources dans la rupture de pente).
Alternance de cultures, de prairies humides, de petits secteurs marécageux à végétation hygrophile, ce secteur est constitué de parcelles réduites, orientées bien souvent dans le sens de la pente et soulignées par un réseau « serré » de haies et de fossés, qui contraste avec le parcellaire lâche du marais.
C’est une zone d’interface sur le plan écologique qui joue un rôle « tampon » (accumulation d’eau), isolée hydrauliquement du reste du marais par la présence d’un fossé de ceinture. Elle est en relation avec les petits cours d’eau qui descendent du coteau, ces derniers assurant avec leur ripisylve des fonctions de corridor biologique (circulation d’espèces : petits mammifères et poissons…)
Le réseau des haies lui confère une richesse écologique bien différenciée du reste du marais, et intéressante, notamment en matière de diversité de passereaux, ainsi que sur le plan paysager.