Retrouvez ci-dessous la tribune lancée par Jean-Luc Gleyze et signée par 23 Présidents et Présidentes de Départements.
Aujourd’hui entre 20 et 40 % des enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance sont en situation de handicap, là où ils représentent 2 à 4% dans le reste de la population. Présidents et Présidentes de Départements, nous dénonçons le manque cruel de moyens alloués par l’État à la psychiatrie et à la prise en charge du handicap qui impacte particulièrement les enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance.
« La protection de l’enfance sera au cœur des cinq années qui viennent » : ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron en conclusion du débat du 2e tour de la présidentielle face à la candidate Le Pen. Mais quelle est la réalité derrière la petite promesse de campagne ?
Certes, des reportages ont mis le doigt, ces dernières années, sur des situations d’enfants dénommés « cas complexes ». On y a vu des enfants en souffrance psychique, abimés, dangereux pour les autres et parfois pour eux-mêmes. Des enfants qui n’ont plus leur place dans les foyers de l’enfance ou dans les familles d’accueil, et pour lesquels l’ASE recourt désespérément par défaut à des pis-aller. Et des personnels qui n’ont pas la capacité professionnelle à les prendre correctement en charge.
Une partie de ces enfants devraient être accueillis dans des établissements ou services spécialisés relevant de l’État, capables de prendre en charge leur handicap ou leur pathologie. Mais, faute de places, ils sont orientés vers des solutions inadaptées à leurs besoins et incohérentes au vu de leur parcours : placement dans des associations au-delà des places habilitées, prise en charge dans un établissement éloigné, dans des familles d’accueil ou dans une structure où les professionnels ne disposent pas des compétences pour prendre en charge des enfants avec des handicaps lourds.
Aujourd’hui, les carences de ces secteurs sont abyssales partout en France. Il faut attendre 18 mois pour un premier rendez-vous en Centre Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP) en Seine-Saint-Denis. Il faut attendre jusqu’à 36 mois en Gironde pour obtenir une place en Institut Médico Educatif (IME) ou en Services d’Education Spécialisée et de Soins à Domicile (SESSAD).
Ces défauts de prise en charge provoquent des situations humaines insupportables
D’abord parce qu’ils aggravent les difficultés et la souffrance des enfants, et cet état de fait est indigne de notre République qui doit les protéger en toutes circonstances.
Ensuite, parce qu’ils conduisent de nombreux parents désœuvrés face aux problématiques rencontrées par leur enfant, souvent isolés ou en charge de fratries, à l’épuisement au risque qu’ils en deviennent négligents, voire maltraitants malgré eux.
Enfin, face à ces situations de détresse, ce sont aux services de l’Aide Sociale à l’Enfance seuls qu’il est demandé de faire l’impossible. Si les éducateurs sont mobilisés, ils se heurtent au mur de compétences et de moyens qu’ils n’ont pas face aux problématiques de santé des enfants qui leurs sont confiés. Car malgré leur bonne volonté, ils ne peuvent être la bonne réponse à ces situations critiques. Dans un contexte de crise d'attractivité du métier sans précédent qui accentue le manque de travailleurs sociaux, ce rôle est d'autant plus difficile à assurer.
Enfants, parents, professionnels, sont ainsi affectés par le manque d’offre de soins et de places d’accueil en structures et services médico-sociaux. Outre son caractère alarmant, cette situation amène les départements à assumer, pour pallier la carence de l’État, la responsabilité juridique et financière d’une prise en charge par défaut.
Car oui, dans nos Départements, nous faisons de la Protection de l’Enfance une priorité. C’est un fait, nous n’avons de cesse de renforcer nos moyens budgétaires et de dépasser nos compétences pour imaginer des modes d’accueil de substitution, pour ne pas laisser ces enfants abandonnés par la République.
Mais cela revient à écoper l’océan à la petite cuillère si, dans le même temps, la prise en soin par l’État de ces enfants demeure un angle mort des politiques publiques de santé.
Il y a quelques mois Emmanuel Macron déclarait donc faire de la protection de l’enfance la grande cause de son mandat, pourquoi ne pas le faire en commençant par écouter les acteurs de terrains ? Leurs remontées sont claires : il est urgent de donner des moyens bien plus importants à la pédopsychiatrie et de créer des places dans le médico-social.
Sinon, les enfants les plus fragiles de notre société se retrouvent dans une terrible impasse, et y entraînent celles et ceux qui tentent de compenser les manques d’un État qui fait preuve d’une affligeante désinvolture.
Tribune lancée par Jean-Luc Gleyze et signée par :
- Fabien Bazin, président Nièvre
- Bruno Bernard, président métropole de Lyon
- Sophie Borderie, présidente Lot-et-Garonne
- Philippe Bouty, président Charente
- Jean-Luc Chenut, président Ile-et-Vilaine
- Christian Coail, président Côtes d'Armor
- Xavier Fortinon, président Landes
- Jean-Luc Gleyze, président Gironde
- Chaynesse Khirouni, présidente Meurthe-et-Moselle
- Yves Krattinger, président Haute-Saône
- Françoise Laurent-Perrigot, présidente Gard
- Jean-Claude Leblois, président Haute-Vienne
- Jean-Claude Leroy, président Pas de Calais
- Hermeline Malherbe, présidente Pyrénées Orientales
- Michel Ménard, président Loire-Atlantique
- Kléber Mesquida, président Hérault
- Sophie Pantel, présidente Lozère
- Germinal Peiro, président Dordogne
- Christophe Ramond, président Tarn
- Hélène Sandragné, présidente Aude
- Christine Téqui, présidente Ariège
- Stéphane Troussel, président Seine-Saint-Denis
- Sébastien Vincini, président Haute-Garonne