Comme à la maison… d’Élizabeth

Cette nuit-là, Élizabeth d’Angèle n’a dormi que quelques heures. Appelée dans la soirée, elle a passé une partie de la nuit à faire sonner les téléphones de son réseau solidaire pour venir en aide à une femme et ses trois enfants trouvés dans la rue. Après une mise à l’abri de la famille sous tente, elle rentre chez elle à 2 heures du matin. À 4 heures, sa journée commence…

Le rythme est habituel pour cette pétillante bénévole de 78 ans, aux multiples casquettes. Sûrement pas infatigable mais animée par la mission qu’elle a entreprise : agir contre l’exclusion des personnes qui vivent dans la rue. Sa journée débute par les colis alimentaires.

La Maison est la plaque tournante des colis pour les organismes sociaux qui répondent aux demandes du quartier. Puis, c’est la cuisine pour les coqs en pâte d’un jour qui franchissent le seuil du numéro 12 de la place St Martial aux Chartrons.

Femmes, hommes, enfants sont accueillis de 9h à 16h, du lundi au jeudi dans sa Maison, celle de l’association qu’elle a fondée en 2019 : la Maison d’Élizabeth. Un accueil universel et inconditionnel, moyennant des règles à respecter… comme à la maison. Un appartement de plain-pied loué par Domofrance, ouvre sur une grande terrasse et un jardin, ce jour-là, blanc comme neige. Mais autour de la table dressée pour le déjeuner, la chaleur humaine se mêle au fumé de la soupe mitonnée par « mamie ».

« Ici, on oublie la rue », confirme Zizou.

La maison d’Élizabeth ressemble à une parenthèse privilégiée, protégée.  

Une halte, un tremplin

Jusqu’à 35 personnes par jour en été et une quinzaine l’hiver, viennent s’y doucher, laver leur linge, recharger les portables mais aussi apprendre le français, préparer leur dossier de demandeur d’asile, chercher un emploi ou tout simplement manger, se poser, au calme.

Chacun leur tour, Valentine, Titi, Zizou, et Eric expliquent qu’ils « font partie de la maison ».

Eric, 52 ans, a des papiers mais pas d’emploi ; il vit dans la rue depuis un an et ne veut pas parler de sa vie d’avant

« Je dessine et tente de vendre mes portraits, je souhaiterais pouvoir en vivre, c’est ma seule perspective pour le moment », dit-il.

Il travaille actuellement au projet d’une exposition de dessins avec le Secours catholique et bientôt une bénévole viendra donner des cours à la Maison.

Zizou, 35 ans, vient d’Algérie.

« Depuis 3 ans en France, j’ai pu être soigné, mes traitements sont introuvables dans mon pays, » dit-il.

Tous sont suivis, Titi et Valentine aussi, par un psychiatre. Ils ont une couverture sociale mais il manque le sésame… le titre de séjour. Zizou confie que le principal fléau d’une vie sans logement sont les maladies psychiatriques.

« Il y a trop de souffrances… Aujourd’hui je vais mieux, et la Maison d’Élisabeth m’aide », ajoute-t-il.

Arpenter la vie

Pendant ce temps, Valentine pleure. Touchée par les propos de ses « collègues », comme ils s’appellent. Arrivée de Côte d’Ivoire il y a 8 ans, elle reste encore fragile psychiquement, et Titi, réservé mais empathique, la console doucement. Russe de 42 ans, sa priorité est la maîtrise du français et l’obtention de son titre de séjour.

Si pour Zizou, le passé lui donne de l’espoir, Titi confie :

« J’ai besoin d’accepter ma vie d’aujourd’hui et d’avoir envie pour m’ouvrir des possibilités. Tu viens à la Maison d’Élisabeth si tu as envie de sortir de la rue, de changer de vie. »

Élizabeth déjeune parmi eux et distille humour souvent, et légèreté. Elle sait les émotions qui les traversent, elle qui a vécu la rue durant 4 ans, ses risques, et la perte d’identité qui va avec.

« La société est jugeante et j’ai dû prouver ma capacité à créer ce lieu, son sens, malgré mon savoir-faire et mon équilibre retrouvés, » se souvient-elle.

Le courage les caractérise, toutes et tous et pourtant l’édifice reste fragile, ne tient qu’à un fil, celui du lien qu’Élizabeth tricote chaque jour avec eux.

Ce soir, elle fermera la Maison : demain, c’est vendredi, la tournée des squats pour Élizabeth, à Bacalan, Lormont et Floirac. Elle veille, surveille, assure le portage de nourriture, domicilie les familles à la Maison pour que les enfants puissent être adressés et donc scolarisés, et reste en contact avec les enseignants. Il est 15h, chacun se rhabille, chaussures, blousons et sac à dos. Malgré tout, les yeux de Zizou sourient : il neige !...

En 2022, l’association a été soutenue par le Département dans le cadre de l’Appel à initiatives locales de développement social (AILDS).

Contact

Maison d’Elizabeth
12, Place St Martial
33300 Bordeaux
06 66 62 80 42
maisondelizabeth@gmail.com